Le dernier numéro des Chroniques du çà et là, entièrement consacré au Japon, est un régal aussi bien pour ceux qui rêvent de ce pays mais n’y ont jamais mis les pieds que pour ceux qui ont pu y voyager et rêvent d’y retourner. C’est un recueil d’interviews et de photographies, de poèmes et de gravures, d’essais et de dessins, qui réussit à s’écarter des représentations éculées que nous pouvons avoir de l’archipel japonais, la mosaïque proposée permettant ainsi de rendre compte de la richesse et de la diversité de la culture japonaise, qu’elle soit moderne ou ancestrale.
Certains des textes proposent un regard érudit sur un ou plusieurs aspects de la culture japonaise, tels que la figure canonique de Mishima, la littérature criminelle, ou le manga. Un entretien avec Corinne Atlan, qui a largement aidé à la diffusion de la littérature japonaise contemporaine en France, notamment en traduisant Murakami Haruki, lui permet d’évoquer la place des écrivaines dans le paysage littéraire du Japon actuel, ainsi que les difficultés spécifiques que pose la langue japonaise en traduction. Maurice Mourier aborde la figure internationalement reconnue de Murakami pour en faire ressortir la « japonitude ». La fiction de Murakami a beau être très contemporaine, et truffée de références à la culture occidentale, elle n’en recèle pas moins au cœur, selon Mourier, « l’animisme du vieux pays ».
Le monde du théâtre n’est pas en reste : Mireille Michel se tourne vers le Noh (et Christophe Penot vers le Kabuki), afin d’en faire ressortir la sensibilité si singulière.
D’autres auteurs nous livrent un témoignage plus personnel, tels que Philippe Barrot, le directeur de publication, qui relate son passage à Kyoto, ou Emmanuel Steiner qui utilise la forme d’un journal de bord lyrique à la troisième personne. Bruno Sibona, lui, voyage à Tôkyô : il s’y était rendu vingt-six auparavant pour pratiquer l’art du tir à l’arc ; son retour est l’occasion pour lui de mêler la prose de ses souvenirs à des poèmes méditatifs. Ces regards personnels viennent parfois de l’intérieur même du pays : Kimiko Rayment ouvre le volume par une Lettre de Chiba – Chiba étant une ville située à 250 kilomètres au sud de Fukushima. À la suite de la tragédie, elle condamne le gouvernement japonais et la compagnie propriétaire de la centrale nucléaire qui cherchent de concert à dissimuler la gravité des faits.
Enfin, plusieurs artistes ont créé des œuvres qui font intervenir à la fois une dimension visuelle et une dimension textuelle, notamment à travers la calligraphie, tirant parti de cette étanchéité entre les arts pour faire émerger une image plus complexe et subtile du Japon. Dans Sukima (qui veut dire fente oufissure, et que l’auteure traduit par interstice), Lucile Druet encadre un poème de photographies capturant cet instant d’entre-deux qui caractérise son expérience du Japon. Aimi mêle également trois autoportraits en noir et blanc (intitulés Le passé, Le présent et Le futur) à un poème, qui nous est donné en français et japonais et qui cristallise la mélancolie face au temps. D’autres s’amusent à renverser notre perspective habituelle sur le monde environnant : ainsi, Desa Philippi photographie ce qui se reflète dans des miroirs routiers, amenant une réflexion subtile sur le jeu – de miroir, précisément – entre le Je et l’Autre que nous percevons comme étranger.
Ce numéro de Chroniques du çà et là nous offre donc une vision riche du Japon, qui éveillera certainement une furieuse envie de voyager…
AK Afferez (La Cause littéraire)